« Être et devenir personne »

 Église catholique de Québec
Par Église catholique de Québec
Canada
Mardi 4 Mai 2010

Du 30 avril au 2 mai dernier, les membres de la Fédération canadienne des sociétés de médecins catholiques (FCSMC) se réunissaient à Montréal. L’archevêque de Québec et Primat du Canada, le cardinal Marc Ouellet, a participé à la rencontre en présentant une conférence touchant aux grandes questions bioéthiques, le 2 mai.

Vous pouvez la retrouver ci-dessous dans son intégralité.

Photo ECDQ/Denise Morneau

INTRODUCTION

Je salue comme un grand signe d’espérance l’engagement renouvelé des médecins catholiques pour une culture de la vie qui soit davantage respectueuse de la dignité de la personne humaine. Ce congrès annuel de la Fédération canadienne des sociétés de médecins catholiques témoigne de cet engagement et je vous remercie de m’avoir associé à votre réflexion.

Engagés par le Serment d’Hippocrate et guidés par une vision anthropologique chrétienne, vous êtes confrontés à des courants sociaux qui défient ouvertement votre conscience morale et votre service professionnel.

Cette confrontation devient maintenant plus dramatique à cause de la pression accrue venant de mesures législatives (ex.: lois ou projets de lois sur l’avortement et l’euthanasie) qui touchent le traitement de la vie humaine à son début et à sa fin. Par ailleurs, l’objection de conscience à laquelle vous avez droit est un dernier recours qui menace d’être remis en cause par de nouvelles régulations.

Avortement, euthanasie, suicide assisté, utilisation des cellules souches, gestion de l’état végétatif de certains patients, recherche sur les embryons : beaucoup de nouvelles questions se posent à cause des progrès de la science biomédicale. En conséquence, des choix éthiques s’imposent à la conscience concernant le traitement de l’être humain à toutes les phases de son développement, depuis le premier instant de sa conception jusqu’à sa mort.

Certains courants de pensée distinguent entre l’être humain et la personne humaine, proposant que la dignité de la personne humaine soit affirmée inconditionnellement à partir du moment de la naissance, alors que les phases antérieures du développement de l’embryon et du foetus ne jouiraient pas de la même garantie juridique.

L’Église catholique rejette cette distinction dans l’Instruction Donum vitæ de 1987 car la dignité de la personne humaine est la même à toutes les phases de son développement :

“Si l’Instruction Donum vitae n’a pas défini l’embryon comme personne, afin de ne pas s’engager expressément dans une affirmation de nature philosophique, elle a cependant relevé qu’il existe un lien intrinsèque entre la dimension ontologique et la valeur spécifique de chaque être humain. Même si la présence d’une âme spirituelle ne peut être détectée par aucune observation de donnée expérimentale, les conclusions scientifiques elles-mêmes au sujet de l’embryon humain « fournissent une indication précieuse pour discerner rationnellement une présence personnelle dès cette première apparition d’une vie humaine : comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine ?(1) ». De fait, la réalité de l’être humain, tout au long de son existence, avant et après sa naissance, ne permet d’affirmer ni un changement de nature ni une gradation de la valeur morale, car il possède une pleine qualification anthropologique et éthique. L’embryon humain a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne” (2)

Le débat en cours au Québec sur la décriminalisation de l’euthanasie a fait émerger le concept de la dignité de la personne d’un point de vue nouveau. .

Les tenants de la libéralisation de l’euthanasie interprètent ce concept d’un point de vue subjectif alléguant qu’à un certain degré de souffrance, d’impuissance ou de dégradation de l’organisme humain, la vie n’est plus « digne » d’être vécue. En conséquence, on devrait autoriser la personne qui voudrait en finir plus rapidement à procéder avec l’appui de ses proches et un support médical adéquat.

Une telle conception de la dignité, liée à l’état de santé plus ou moins délabré d’une personne, est réductrice et dangereuse. Car elle prend pour mesure et fondement une perception subjective passagère qui ne tient pas compte des valeurs sociales communes, de la loi profonde du respect de la vie inscrite dans la conscience humaine et de l’horizon global de l’existence humaine promise à un destin transcendant.

Tout leur raisonnement est articulé autour du moment insupportable qu’il faut éviter parce qu’il serait indigne de souffrir inutilement, de se voir réduit à l’impuissance, d’être soumis à la dépendance totale d’autrui et à l’humiliation de perdre le contrôle de soi-même à l’approche de la mort. À cette idéologie qui dévalorise la dignité de la personne humaine, il faut opposer une vision anthropologique globale conforme à la raison éclairée par la foi, selon la tradition judéo-chrétienne qui est la nôtre en Occident.

I. Principe et fondement

Là où la conscience morale n’est pas faussée par la pression ambiante, par des présupposés matérialistes ou des intérêts égoïstes, la personne humaine expérimente sa vie comme un don qui lui vient du Créateur. Elle se sait spontanément redevable envers lui de sa vie et appelée à lui rendre compte de sa conduite et de l’usage de ses talents.

Parmi les valeurs confiées à la responsabilité de la personne humaine, le respect de la vie à toutes les phases de son développement apparaît comme le principe et le fondement de l’ordre moral de la société. La valeur intrinsèque de la personne humaine, fondée sur sa qualité d’être supérieure à toute la nature matérielle, constitue la base de toutes les autres valeurs. Car la personne humaine est dotée d’une âme spirituelle et immortelle qui est promise à une vie de communion définitive avec Dieu par-delà la mort. Le philosophe Blaise Pascal parle de trois ordres de réalité : l’ordre des corps, l’ordre de l’esprit et l’ordre de la charité. De l’un à l’autre de ces ordres, il y a une nette distinction et un saut qualitatif.

Cette vision anthropologique est commune à la culture occidentale enracinée dans la pensée grecque et la tradition judéo-chrétienne. Elle procède de la notion d’Alliance inscrite dans la Bible, qui définit la personne humaine comme une créature aimée personnellement par Dieu et interpellée à vivre en dépendance filiale à son égard. Conformément à ce rapport vital au Créateur, la Bible interdit toute décision unilatérale du côté humain visant à supprimer la vie d’autrui, ou à l’abréger, ou bien à porter atteinte à sa propre vie, car aucun être humain n’est l’arbitre ultime de la vie. Le Créateur de l’homme est l’unique maître de la vie. On ne peut usurper le droit souverain qu’il possède sur son oeuvre, qui est régie par des lois établies par lui pour la conception, la gestation, la naissance, la croissance, le déclin et la mort de ses créatures humaines (3). Cette norme éthique fondamentale est confirmée par l’explicitation du dessein de Dieu dans le Christ, qui fournit des raisons additionnelles pour respecter la vie et la dignité de toute personne humaine.

Agir autrement sans égard pour l’ordre établi par Dieu introduit un désordre aux conséquences graves et imprévisibles, comme il appert déjà de la décriminalisation de l’avortement et de l’euthanasie dans certains pays occidentaux. La rupture de l’ordre social fondé sur la reconnaissance du droit souverain de Dieu sur la vie entraîne l’affaiblissement du sens moral, la dégradation des rapports humains, la montée de la violence et la « culture de mort » dont on ne mesure plus les conséquences à venir.

Si chaque individu peut décider du terme de sa propre vie ou de l’existence d’une autre personne humaine malade ou en gestation dans le sein maternel, il n’y a plus aucune limite à la volonté de puissance et aux choix arbitraires. Par conséquent, notre société facilite la prolifération des situations d’injustice où le droit du plus fort l’emporte sur le droit du plus faible. Et ce sont les pauvres et les êtres les plus fragiles qui sont sacrifiés, quelle que soit par ailleurs la rhétorique de lutte à la pauvreté qui canalise les restes de conscience éthique vers des objectifs politiquement corrects.

De fait, nous constatons le déclin de notre civilisation dont les valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité ont perdu leur fondement universellement reconnu. Parallèlement à l’inflation des droits de l’homme, nous constatons un recul de l’humanité, dans la mesure où la domination de la force brutale, même admise par des majorités, conduit à la suppression d’êtres humains, quelle que soit la justification qu’on en donne par ailleurs à l’aide des lois et du pouvoir médiatique.

Là où la personne humaine n’est plus respectée dans sa dignité ontologique, c’est-à-dire dans son être même indépendamment de sa race, de sa couleur, de son statut social, de son état de santé, de son sexe, de sa dimension microscopique de zygote, la porte est ouverte à tous les abus, à toutes les manipulations. Le rempart de la vie civilisée est abattu et la démocratie elle-même est menacée.

Si on ne respecte pas la personne humaine tout simplement parce qu’elle est une personne humaine ou un être humain, on supprime le fondement des normes qui régissent la vie en société, c’est-à-dire le fondement du droit. On fait place à un autre fondement, consensuel, aléatoire, éphémère, évolutif et mouvant.

Une personne humaine a droit à la vie parce qu’elle est une personne humaine et non parce qu’elle est attendue, désirée, qu’elle ne dérange pas, qu’elle ne menace pas, parce qu’elle ne coûte pas cher, etc. Il n’y a pas de raison qui déboute la raison fondatrice, la valeur première, le pilier qui soutient tout l’édifice.

Si le droit à la vie est soumis aux intérêts subjectifs des individus, on instaure comme fondement de la vie en société le droit du plus fort, ce qui entraîne la suppression légale des grossesses non désirées, reléguant l’être humain dans le sein maternel à un statut juridique de seconde classe, pour ne pas dire inexistant.

Dans une société où on abhorre la discrimination sous toutes ses formes, on instaure la discrimination à l’égard des êtres les plus faibles, le plus incapables de se défendre. Et pour se donner bonne conscience, on argumente le déni de la dignité de personne qui mettrait à l’abri ces êtres fragiles. On les réduit au niveau d’une excroissance organique à éliminer, s’il faut assurer la santé de la mère qui se sent agressée, menacée ou simplement, en certains cas, importunée dans son plan de carrière.

Non seulement cet être humain est incapable de se défendre, mais on prive ceux et celles qui voudraient le défendre des moyens légaux pour le faire. En d’autres termes, on érige l’iniquité en système et on façonne l’opinion publique à grand renfort de pression médiatique avec la valeur suprême de l’affirmation de soi et de la liberté de choix, sans égard pour la dignité de la personne humaine.

II. Créés à l’image de Dieu et vers sa ressemblance

Ce que je viens de dire du point de vue des principes peut aussi se vérifier à partir de l’expérience du développement de la personne humaine.

Il est reconnu scientifiquement que l’être humain dispose dès sa conception d’un capital génétique unique et complet qui va se développer dans une ligne de continuité et de croissance (4). La personne adulte qui a parcouru toutes les phases du développement humain est la même personne qui a commencé par être un organisme microscopique dans le sein maternel. Cet être humain fragile s’est développé en interaction avec son milieu porteur, en premier lieu le sein de sa mère qui le nourrit, le protège, l’accompagne physiquement et spirituellement, et le met au monde.

On sous-estime généralement la portée des relations humaines dans toutes les phases du développement humain et en particulier dans la phase initiale de croissance. La même observation est valable pour la fin de la vie où la conscience de soi des personnes mourantes est tamisée et la communication avec elles est réduite. Mais en fait, au moment d’initier ou de clore le processus de la vie humaine, la qualité des relations interpersonnelles demeure plus décisive qu’à aucun autre moment de la vie.

La personne humaine n’est pas qu’un amas de cellules qui répond à des stimulus d’ordre physique ou chimique, elle est d’abord un sujet de relations. Ces relations font partie intégrante de son être et conditionnent profondément l’acquisition de son identité.

Si une mère accueille, tolère ou rejette l’enfant qu’elle porte, cet enfant subira toute sa vie les conséquences du premier traitement personnel qu’il a reçu. Des angoisses et des troubles de la personnalité s’originent souvent de traumatismes ressentis dans la tendre enfance ou dès le sein maternel. Je laisse aux spécialistes compétents dans ces domaines d’étayer davantage les répercussions de la dimension relationnelle de l’être humain sur sa santé psychique et sa capacité d’intégration sociale.

Le point qui m’intéresse est surtout philosophique et théologique. L’être humain, qui a la dignité de personne dès la conception, n’est pas une monade sans fenêtre (Leibniz) ou un pur esprit tombé dans une machine (Descartes); c’est un composé d’âme et de corps unis substantiellement, un sujet concret constitué d’un principe vital dynamique qui structure une matière en organisme vivant. C’est un sujet dans le monde s’exprimant dans un corps humain donné qui devient la médiation de ses multiples contacts et dialogues avec le milieu ambiant et la société.

Mais au plus profond, l’homme est un être interpellé. L’enfant s’éveille à la conscience de soi grâce au sourire de sa mère qui l’appelle, dans l’amour, à être ce qu’il est : une personne en dialogue. L’éclosion de la conscience de soi dépend donc de cette médiation personnelle qui constitue en même temps la première expérience de Dieu (5). Car le premier éveil de l’enfant par sa mère constitue la première expérience transcendantale de l’être comme bon et vrai, et cette expérience contient déjà la révélation, si implicite soit-elle, de la plénitude du Bien et du Vrai. Cette expérience structure la conscience éthique de la personne humaine en lui donnant son pôle d’attraction et son fondement. La recherche du bien dans les rapports humains tend ultimement vers l’identification au Bien absolu.

La philosophie contemporaine a beaucoup développé la dimension interpersonnelle de l’être humain, soulignant l’importance des rapports familiaux, la signification symbolique du corps, le caractère structurant du langage, la dynamique de l’éducation fondée sur le dialogue, la participation et le témoignage (6).

Toutes ces dimensions de la personne humaine reçoivent un éclairage ultime de la théologie qui précise la source créatrice de l’être humain. « Créés à l’image de Dieu » est le thème général de notre colloque et notre référence ultime pour comprendre la dignité et la beauté de la personne humaine. Même si nous faisons un usage discret de ce thème dans le débat public où nous cherchons un consensus autour de données rationnelles communes, il est néanmoins fondamental de s’y arrêter sérieusement dans le cadre d’une réflexion chrétienne sur le fondement de la dignité humaine.

Nous appartenons à une civilisation dont les valeurs et les marqueurs d’identité proviennent du christianisme et donc de l’héritage biblique. Dans cette tradition, la personne humaine est considérée comme une valeur suprême et fondatrice parce qu’elle est créée à l’image de Dieu. Arrêtons-nous aux implications de ce concept.

Premièrement, la personne humaine est créée, c’est-à-dire qu’elle doit son être à un Être suprême transcendant qui n’a pas jeté au hasard des créatures dans l’existence, mais qui les a créées selon un dessein qui trouve son unité dans le Christ. Le Verbe de Dieu incarné, révélateur du Père Créateur et médiateur de l’Esprit divin, rassemble l’humanité entière dans la grande famille des enfants de Dieu. Créés à l’image de Dieu veut dire aussi que la nature humaine, la personne humaine, tire les marques de son identité à la fois de sa dignité substantielle et de son dynamisme relationnel.

Deuxièmement, le Dieu des chrétiens est trinitaire. Il est Amour, ce qui implique une pluralité de Personnes dans l’unité d’une même nature. Saint Thomas d’Aquin parle de relations subsistantes pour désigner les trois Personnes divines qui sont un seul Dieu, mais dont le mode propre de chacune d’être Amour varie selon un ordre de relations.

Le Père est Amour en tant que Don originant qui engendre; le Fils est Amour en tant que Don accueilli qui se donne en retour; l’Esprit Saint est Amour en tant qu’il procède de l’absolue réciprocité d’amour du Père et du Fils.

La personne humaine est créée à l’image de Dieu et « selon sa ressemblance » (cf. Gn 1, 27), ce qui implique une participation à la seigneurie de Dieu sur le monde, notamment par le moyen de la fécondité (cf. Gn 1, 28). La personne humaine porte en elle-même l’appel à la ressemblance trinitaire qui lui confère un dynamisme de communion en tension vers une plénitude. La vie conjugale et familiale est la première réalisation de cette ressemblance par l’amour. Ce dynamisme de communion s’inscrit dans un réseau plus large de relations humaines traversé par le mystère de l’Alliance entre Dieu et l’homme, dans le Christ. Ce qui suppose une réponse personnelle à l’appel personnel de Dieu dans le Christ pour l’épanouissement total de la personne humaine. Cet appel inclut toujours un don et une mission, le don d’une participation à la filiation divine du Christ et la mission d’être un membre de son Corps, chargé de remplir sa propre fonction dans ce Corps.

Mais quelle que soit la fonction à remplir dans le Corps du Christ qu’est l’Église, c’est la qualité de l’amour qui détermine l’épanouissement de la personne, tant dans ses relations humaines ici-bas que dans le prolongement de sa vie dans l’éternité. Le sens plénier de la vie humaine qui fonde l’éthique ne peut être que la ressemblance trinitaire qui polarise toutes les énergies de la personne humaine vers l’Amour qui contient le bonheur éternel.

Toutes ces considérations nous aident à comprendre l’exigence du respect de la vie à toutes les phases de son développement, de la conception à la sépulture. Elles justifient par conséquent qu’en fin de vie, on pratique des soins palliatifs de qualité au lieu d’éliminer les patients qui souffrent, car ils peuvent continuer à grandir jusque dans l’extrême faiblesse.

III. Éthique médicale et engagement social

“Parce qu’il est à l’image de Dieu l’individu humain a la dignité de personne : il n’est pas seulement quelque chose, mais quelqu’un. Il est capable de se connaître, de se posséder et de librement se donner et entrer en communion avec d’autres personnes, et il est appelé, par grâce, à une alliance avec son Créateur, à Lui offrir une réponse de foi et d’amour que nul autre ne peut donner à sa place.” (7)

Plus on prend conscience de la dimension relationnelle de la personne humaine, plus on est motivé à construire une civilisation de l’amour et plus on voit les effets destructeurs d’une conception de la personne sans Dieu.

Rappelons de nouveau l’anthropologie qui fonde les droits humains. C’est la qualité ontologique de la personne et son lien sacré avec Dieu qui proscrit toute violation de son droit à la vie, au respect, à une existence décente, à la liberté de conscience et de religion, etc.

Enlevez cette référence transcendante et cette inviolabilité ontologique et il ne reste plus que le pouvoir du plus fort pour imposer un ordre social qui sera alors à l’image du surhomme dans la vision de Nietzsche : insensible aux êtres les plus fragiles et à la misère des pauvres, ce pouvoir sera appâté finalement par l’argent et n’aura que mépris pour les vertus chrétiennes d’humilité et de compassion.

L’Occident chrétien risque de renier le fondement de la civilisation dont nous sommes héritiers et de construire une société pluraliste certes, mais qui n’a plus de principe unificateur universel et inattaquable pour en assurer la cohésion. Après l’amère expérience des totalitarismes du XXe siècle, nous glissons vers une dictature du relativisme, ce qui signifie en dernière analyse la manipulation des droits humains et l’imposition d’une pensée unique, politiquement correcte, avec l’appui du pouvoir médiatique.

Ce diagnostic peut sembler alarmant, mais quand on voit évoluer l’Occident vers une « culture de mort » de plus en plus envahissante, on ne peut s’empêcher de tirer la sonnette d’alarme. Avortements massifs, suicides décuplés, euthanasie en progression géométrique, foyers détruits, couples éphémères, conjoints non-mariés, enfants non désirés ou instrumentalisés, techniques raffinées d’eugénisme et de régulation des naissances, manipulations génétiques, etc., etc. Tous ces faits mettent en évidence le désarroi d’une humanité déboussolée et aspirée par le néant.

On constate tristement l’absence d’une norme éthique claire, universellement admise et respectée, qui garantirait l’ordre social et donc un vivre ensemble dans l’égalité des droits et la liberté pour tous.

Cette norme éthique existe et ne peut être que le respect inconditionnel de la personne humaine en raison de sa dignité native, de son alliance personnelle inviolable avec Dieu et de sa contribution unique et irremplaçable au bien commun de l’humanité. Reconnaître cette norme et son fondement devient la tâche la plus urgente et la responsabilité la plus grave en particulier dans le domaine médical et dans la gestion de la santé publique.

C’est le message constant que l’Église catholique rappelle à notre époque contre les courants destructeurs qui combattent cette norme éthique fondamentale. Ces courants imposent des valeurs particulières (autonomie absolue de la femme, élimination de la souffrance, contrôle de la population, expériences scientifiques, manipulations génétiques, etc.), mais au détriment du bien commun de tous les humains et de chaque personne humaine.

C’est pourquoi il ne suffit plus de nos jours que les médecins assurent un service professionnel de qualité, appuyés sur les ressources scientifiques de leur formation médicale. Il leur faut une formation éthique supérieure et un engagement social déterminé pour assurer le respect de la personne humaine à tous les niveaux et à tous les stades de son développement. Ce double engagement répond aux conditions actuelles d’exercice de la profession médicale qui a besoin d’être protégée et même restaurée.

Cet engagement au respect inconditionnel de la personne humaine vaut autant pour le foetus que pour le mourant, de même que pour le malade réduit à un état végétatif. Ce respect concerne évidemment le médecin et sa conscience, et tous les responsables de la santé, qui ont besoin de s’appuyer dans leur travail sur des balises claires, des valeurs sûres, sans être placés sous la pression d’intérêts autres que le soin consciencieux de la personne malade.

Ce congrès marque un pas en avant dans la lutte très ardue chez nous pour le respect de la personne humaine. Des intérêts particuliers ont tellement pris de place et installé leur pouvoir dans la culture dominante qu’il sera difficile de renverser la tendance. Mais ici comme en d’autres domaines, ce n’est pas la certitude de la victoire qui doit servir d’aiguillon, mais bien la noblesse de la cause et la certitude de servir le bien commun en rappelant le fondement inaliénable de l’ordre établi par le Créateur et confié à notre responsabilité.

Je félicite tous ceux et celles qui osent se lever pour dire une parole constructive, une parole libératrice, une parole qui unit les défenseurs de la personne humaine dans une lutte pacifique et courageuse pour son bonheur véritable. N’oublions jamais que ce bonheur engage, par delà l’horizon terrestre, la vie éternelle.

CONCLUSION

En conclusion, permettez-moi de citer le pape Benoît XVI, que Dieu a donné comme pasteur universel à l’Église catholique, malgré l’opposition médiatique qui se déchaîne périodiquement contre son autorité morale et doctrinale. Nous avons en lui un authentique docteur de l’Église et un phare de sagesse pour l’humanité. Soyons fiers de lutter avec lui au service de la vérité, pour le respect de chaque personne humaine et pour le bien commun de l’humanité. Il s’adressait en 2006 aux participants du Congrès international organisé par l’Académie pontificale pour la Vie sur le thème : « L’embryon humain dans sa phase préimplantatoire » :

« En réalité, celui qui aime la vérité, comme vous, chers chercheurs, devrait percevoir que la recherche sur un thème aussi profond nous met en condition de voir, et presque même de toucher, la main de Dieu. […] L’amour de Dieu ne fait pas de différence entre celui qui vient d’être conçu et se trouve encore dans le sein de sa mère, et l’enfant, ou le jeune, ou bien encore l’homme mûr ou âgé, car en chacun d’eux il voit l’empreinte de sa propre image et ressemblance(8). »

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NOTES

1 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum vitae, I, 1: AAS 80 (1988), 78-79 ; La Documentation catholique (1987), p. 352.

2 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas personæ sur certaines questions de bioéthique, 5; La Documentation catholique, numéro 2415 du 04/01/2009.

3 « La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte « l’action créatrice de Dieu» et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu seul est le Maître de la vie, de son commencement à son terme personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent. » Instruction Donum vitae, 5.

4 « Dès que l’ovule est fécondée, se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même Il ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors.

A cette évidence de toujours […] la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées. Dès la fécondation, est commencée l’aventure d’une vie humaine dont chacune des grandes capacités demande du temps pour se mettre en place et se trouver prête à agir. » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi Déclaration sur l’avortement provoqué 12 : 13 AAS 66 (1974), 738).

5 Cf. H. U. von Balthasar, « Neuf thèses pour une éthique chrétienne », ch. 3, dans J. Ratzinger et P. Delhaye (dir.), Principes d’éthique chrétienne, Lethielleux/Sycomore, 93.

6 Voir à ce sujet les études sur intersubjectivité du philosophe personnaliste Maurice Nedoncelle : M. Nedoncelle, Intersubjectivité et ontologie, Louvain, Nauwelaerts, 1974; Emmanuel Lévinas.

7 CEC, 357.

8 Benoît XVI, Discours aux participants du Congrès international organisé par l’Académie pontificale pour la Vie sur le thème : « L’embryon humain dans sa phase préimplantatoire », 27 février 2006.