BIOÉTHIQUE versus ANTHROPOLOGIE

Soif urgente d’une vision de l’homme adaptée à notre société postmoderne.

Dr. Bernard Ars
Agrégé de l’Enseignement Supérieur.

C’est dans le Christ « image du Dieu invisible » que l’homme a été créé à « l’image et à la ressemblance » du Créateur.

C’est dans le Christ, rédempteur et sauveur, que l’image divine, altérée dans l’homme par le premier péché, a été restaurée dans sa beauté originelle et ennoblie de la grâce de Dieu [1].

Le monde actuel n’est pas en crise. Il est en mutation :

  • Mutation géopolitique : le monde n’est plus centré sur l’Europe ;
  • Mutation économique : la globalisation ou la mondialisation ;
  • Mutation écologique : il devient impossible de déployer un projet de croissance infinie à l’intérieur d’un monde fini ;
  • Révolution numérique ou informatique ;
  • Révolution génétique : le pouvoir d’action directe sur les mécanismes de la vie ;

 

… et l’énumération peut être encore longue !

Quelle aubaine ! [2]

Réaliser qu’il s’agit bien là d’une mutation et non d’une crise doit, tout à la fois, susciter en nous une grande espérance, et nous appeler également à tenter de contribuer à la construction de ce monde nouveau.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une vision de l’Homme, adaptée, actualisée.

Cependant, le relativisme agressif de la société actuelle, ainsi que l’impérialisme du présent ont fait que plus rien de l’homme n’a été transmis, et, qui plus est, que nous ne savons plus ce que nous avons à transmettre, ni comment le transmettre.

Pour Damien Le Guay [3], « nous adorons nous conjuguer au présent, nous avons oublié de nous accorder au passé et nous sommes incapables de nous décliner au futur. Cet impérialisme du présent instaure dans la trame historique un « trou noir » temporel qui attire à lui le passé, l’engloutit et interdit, en quelque sorte, qu’apparaisse un horizon, un avenir.. ».

Et Marcel Gauchet [4]  lui emboîte le pas lorsqu’il précise que cette situation : « fabrique des acteurs qui ne savent pas bien qui ils sont, ni quel est le sens de leurs actions. A la lettre, ils ne se connaissent pas, ils flottent dans une étrangeté à eux-mêmes qui justifie de parler d’une aliénation d’un genre nouveau… »

En réalité, le triple souci : recevoir, donner et rendre, qui constitue le socle anthropologique, a actuellement quasi disparu. Et, si les chrétiens font incontestablement d’énormes efforts pour se situer sur le plan naturel de l’anthropologie, ils sont sans cesse renvoyés à leur appartenance confessionnelle.

Qu’à cela ne tienne, soyons créatifs !

Mais pour ce faire, il convient de se ménager un minimum de disponibilité intérieure.

Nous devons tenir compte du fait que la post- modernité est une époque de mise en doute de la raison, ainsi que d’autodérision de l’effort humain. C’est une ère de déconstruction du Vrai, du Beau et du Bien.

Aujourd’hui, la philosophie a perdu non seulement son vocabulaire, mais aussi sa finalité. Que reste-t-il de notre héritage ? Les Grecs avaient donné au monde la distinction entre raison et croyances ; le christianisme a fondé une philosophie qui, en lien avec la théologie, a permis à celle-ci de devenir une science qui, de son côté, conforte et éclaire la raison.

Deux mille ans de christianisme ont donné lieu à une philosophie d’inspiration chrétienne permettant le développement d’une anthropologie fondée sur la personne humaine [5].

Actuellement, l’idée de personne humaine se trouve au carrefour de nombreuses perspectives. Au premier chef, le sens de la finalité : la personne dispose d’un destin libre, un avenir, une histoire qui est le développement de sa nature [6].

Face aux brillants résultats scientifiques et à ceux de leur application médicale, plus particulièrement, un double constat s’impose :

Premier constat : Aujourd’hui, grâce aux biotechnologies et aux nanotechnologies, il est possible :

  • de recomposer notre ADN,
  • de fabriquer des cellules artificielles,
  • de potentialiser directement notre cerveau,
  • de réparer le corps à l’infini… au point de repousser les frontières de la maladie, de la vieillesse et de la mort.
  • ….

 

Second constat : Le fameux « BANG » : de B, A, N, G pour Bits, Atomes, Neurones et Gènes, affecte directement l’homme. Bits et atomes sont mis au service d’un remodelage décisif des neurones et des gènes. Ils sont capables de façonner l’homme de l’intérieur !

Mais ces pratiques inédites semblent libres de toutes règles !

Ne sont-elles pas soumises au seul jeu de la toute-puissance de la technique, du « tout est possible » ? … qui elle-même prolonge le désir humain de « tout est désirable » ?

Merveilleux !!! …. ou odieux ????

O-ù allons-nous ???

Et c’est ICI qu’apparaît la nécessité d’une Ethique.

Dans son « Discours sur la Méthode », Descartes [7]  écrit : « S’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher ».

La médecine s’est toujours appuyée sur une sagesse et une exigence non seulement déontologique, mais aussi morale. Et cette morale renvoie à l’éthique, au sens moderne du terme, qui situe l’exercice de l’activité médicale au cœur même de la société.

Reconnaissons que la médecine a enregistré au cours des dernières décennies des progrès bien plus considérables que ceux qu’elle a connus au cours des siècles passés. Elle a cristallisé nombre d’avancées scientifiques parmi les plus spectaculaires, associant les disciplines de pointe les plus variées : la chimie, la physique, la biologie, génétique, informatique, robotique, techniques de l’imagerie médicale, télécommunications et maintenant internet…

Mais les progrès de la connaissance confèrent aux soignants des pouvoirs qui ne sont plus uniquement de l’ordre du traitement de la maladie, et pour lesquels le serment d’Hippocrate et la déontologie médicale, même s’ils restent plus que jamais d’actualité, ne sont pas toujours du même secours qu’autrefois.

La tentation d’une instrumentation de la médecine ne relève plus de la science-fiction. Elle devient réalité. Instrumentation au service d’aspirations personnelles. Instrumentation aussi au service de fantasmes individuels, et un jour, qui sait, au service d’une volonté de puissance.

Nous entrons dans des régions inexplorées où la médecine répondra de mieux en mieux aux immenses espérances que nous plaçons en elle, mais où elle risque aussi de s’égarer. Il est vital pour l’avenir que la nécessaire avancée des connaissances s’accompagne d’une réaffirmation de la déontologie et d’un renouveau de l’éthique [8] pour que le développement scientifique reste subordonné au bien de l’homme.

Mais soyons clair : l’image du vocable « Ethique », lorsqu’il est appliqué à la médecine et aux sciences du vivant offre une ambiguïté, car il recouvre indifféremment :

 

  • L’éthique médicale proprement dite, c’est-à-dire l’exigence d’une certaine forme de comportement de la médecine au service du malade, et
  • La Bioéthique, qui est la mise en forme, à partir d’une recherche pluridisciplinaire, d’un questionnement sur les conflits de valeurs suscités par le développement techno -scientifique dans le domaine du vivant,

 

L’éthique médicale a-t-elle vocation à dominer la bioéthique ?

La bioéthique est-elle la résurgence d’une morale institutionnelle, voire religieuse, que la science aurait bousculée depuis un siècle ?

Elle est peut-être aussi l’occasion pour une société de s’approprier la réflexion sur le vivant en ne la confiant justement pas aux seuls scientifiques qui, quelle que soit leur ouverture d’esprit, ne peuvent s’empêcher de déduire de leurs recherches une pratique.

La bioéthique dépasse donc largement les enjeux scientifiques.

Elle porte un regard sur la vie, sur ce qui nous fait homme, sur notre capacité à vivre ensemble, surtout sur notre attention à l’autre, en particulier le plus fragile, le plus vulnérable.

Qu’est-ce cela, sinon une vision anthropologique de l’Homme ?

 

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[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique. 1701. P.365-6, ISBN : 2-7289- 0549-5, Plon. Paris. 1992.

[2] GUILLEBAUD J.Cl : Une autre vie est possible. L’Iconoclaste. Paris. 2012, ISBN 978.2.91336-646-6,

Pp 1-125.

[3] LE GUAY D. : Le fil rompu de la transmission. Famille Chrétienne, N° 1773, 7-13/01/2012, pp.32-34.

[4] GAUCHET M. : Conférence de Carême 2005, parue dans La Croix. 29-30/02/2005,

[5] De LAUBIER P. : Anthropologie Chrétienne. L’Harmattan, Paris, 2012, ISBN 978-2-296-99313-6, pp.1-130.

[6] HUMBRECHT Th.D. : L’évangélisation impertinente. Parole et Silence, 2012, ISBN 978-2-88918-069-1.

[7] DESCARTES : Œuvres philosophiques, Collection de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1953.

[8] SICARD D. : L’éthique médicale et la bioéthique. PUF. 2009, ISBN 978-2-13-058662-3, pp. 1-128.