Justice et Paix s’interroge sur le suicide des aînés

01.07.2016 par Maurice Page

Pour affronter la question de la mort, il faut développer une nouvelle culture de la vie. Telle est la conviction que Justice et Paix développe dans une brochure présentée le 1er juillet 2016 à Berne. Sous le titre: “Le suicide des aînés: un défi”, la commission de la Conférence des évêques suisses (CES) propose en une cinquantaine de pages une réflexion éthique sur les enjeux personnels, sociaux, ecclésiaux et médicaux de l’assistance au suicide.

Aujourd’hui, de plus en plus, les offres d’assistance au suicide font office d’alternative ‘naturelle’ à la mort, constate Wolfgang Bürgstein, secrétaire général de Justice et Paix (J+P). Or d’un point de vue chrétien, on ne peut pas considérer “la mort sur commande” comme quelque chose de normal, de banal. Le suicide assisté modifie profondément l’approche de la vieillesse, de la maladie, de la fragilité ou du handicap. Les offres d’assistance au suicide aux personnes âgées et fragiles représentent bien l’idéal d’une société basée sur la jeunesse, la performance, le succès et le contrôle qui propose la mort comme issue à ceux qui n’en peuvent plus, qui se sentent superflus parce qu’inutiles et souffrent d’isolement.

La mort est une question sociale

Si les personnes âgées ou malades ne sont prises au sérieux que comme un problème ou une charge financière, il n’y a rien d’étonnant qu’elles choisissent une mort “auto-déterminée”, relève J+P. L’argument du droit à l’autodétermination, souvent évoqué, présente la mort comme étant l’affaire du seul individu, mais chaque mort est aussi un événement social qui touche les proches, les amis et connaissances, le personnel de santé et la société.

“Le suicide assisté reste une blessure dans la société”

En ce sens le suicide assisté reste une blessure et une épine dans le pied pour une société qui n’accorde plus de place à la fragilité et à l’imperfection.

S’intéresser à la mort signifie s’intéresser à la vie

S’intéresser à la mort revient au fond aujourd’hui à se questionner sur la vie, note J+P. Quelle est notre vision de l’homme? Quelles sont nos valeurs? Quels sont nos objectifs? Un nouvel art de mourir doit donc toujours englober un nouvel art de vivre. Pour le chrétien, toute vie humaine est un cadeau voulu par le créateur. Tout être humain fait partie d’un réseau social de la naissance à la mort. La dépendance n’est donc pas une tare, mais un aspect fondamental de la condition humaine.

Donner sa place à la mort

Il peut cependant y avoir des situations qui font paraître la vie comme impossible à supporter encore. Dans de telles situations de désespoir, les gens ne doivent pas être laissés seuls, souligne J+P. La commission épiscopale plaide pour le développement des soins palliatifs qui peuvent être une aide dans bien des cas. Une attitude chrétienne face à la vie et face à sa propre mort est foncièrement une attitude d’ouverture, de confiance et d’espérance.

Au-delà de la réflexion éthique, J+P entend aussi faire une série de recommandations concrètes à la société, à l’Eglise et au monde de la santé. La mort doit de nouveau être comprise comme partie de la vie. Elle n’est pas une menace, même si elle représente pour chacun un défi existentiel. Mourir signifie toujours un lâcher-prise progressif. L’approche de la mort peut faire découvrir des aspects fondamentaux de la vie humaine: la dépendance aux autres, l’imperfection et les limites.

Voir la personne dans sa globalité

La société considère la vieillesse surtout comme un problème et seulement sous l’angle de son coût déplore J+P. Or une société humaine se caractérise précisément par le fait d’accorder une protection particulière aux faibles et aux défavorisés. J+P dénonce la pratique qui consiste à vouloir se débarrasser des “mauvais risques” en les transférant le plus tôt possible vers une autre institution. Pour la commission seule une vision intégrale de la personne avec ses besoins physiques, moraux et spirituels et dans sa relation à autrui, peut être équitable envers les personnes âgées. J+P insiste enfin sur la reconnaissance sociale de l’aide fournie par les proches. Elle mérite davantage de soutien.

Ne pas condamner

La commission de la Conférence des évêques ne manque pas non plus d’adresser une série de recommandations à l’Eglise. La première attitude consiste à ne pas condamner d’emblée, mais à prendre au sérieux les souhaits, les peurs et les besoins des personnes y compris celles qui se sont affiliées à une organisation d’aide au suicide. La recherche d’une ‘bonne mort’ a besoin de réponses nouvelles et crédibles.

La recherche d’une ‘bonne mort’ a besoin de réponses nouvelles

Les Eglises doivent se faire les avocates des vieux, des faibles et des mourants pour faire contrepoids au mouvement paradoxal de tabouïsation et de banalisation de la mort. J+P attend aussi des Eglises qu’elles s’investissent davantage dans les soins palliatifs.

Plus parler de la mort

Enfin, J+P estime que les Eglises doivent proposer plus d’occasions de parler de la vie et de la mort. Sur ce thème, elles devraient être des interlocutrices naturelles. Il s’agit de développer une culture qui tolère la faiblesse et la mort sans y laisser les personnes livrées à elles-mêmes. La brochure de J+P se cantonne néanmoins strictement à une approche d’éthique sociale en laissant de côté la réflexion biblique et théologique. Si J+P évoque les besoins spirituels, elle ne fait aucune mention de la foi des chrétiens en la vie éternelle et de la rencontre avec le Dieu créateur. Le texte fait aussi l’impasse sur la thématique de la miséricorde.

La mort n’est pas la défaite de la médecine

Pour J+P, les demandes d’assistance au suicide révèlent encore visiblement des peurs, plus ou moins fondées, envers une médecine et ses possibilités qui empêche une mort humaine et bonne. La pratique médicale considère encore trop souvent la mort comme une défaite et, en conséquence, la retarde au lieu de soulager. Le but de la médecine ne doit pas être le succès ou le progrès médical, mais le bien-être des personnes, rappelle la commission. Face aux personnes âgées et aux mourants, on ne peut pas ignorer cet aspect. Les soins palliatifs doivent devenir plus importants que la médecine de pointe. J+P insiste pour que les compétences en soins palliatifs fassent partie intégrante de la formation de base des médecins.

Il faut aussi continuer d’explorer les possibilités et les limites des soins palliatifs en y associant tous les intervenants, médecins, soignants, travailleurs sociaux, aumôniers, psychologues… professionnels et bénévoles.

Le suicide des aînés : un défi

Considérations éthiques dans le contexte du discours sur la fin de vie et les soins palliatifs.

Une contribution dans la perspective de l’éthique chrétienne sociale, rédigée par la commission nationale suisse Justice et Paix

Berne, 2016, 50 pages

Les convictions de J+P sur la fin de vie sont également partagées dans un dépliant intitulé: Aider à mourir: accompagnement ou suicide des aînés? Disponible auprès de Justice et Paix. www.juspax.ch

(cath.ch-apic/mp)