Dr Bertrand Galichon

Président du CCMF (Médecins Catholiques)

Cette chronique n’a pas de rapport avec les événements récents qui ont touché notre pays. Quoique nous pourrions reconnaitre que c’est bien Dieu qui a été canardé et hospitalisé. Le slogan « Pray for Paris » rapidement diffusé soulignait bien que nous changions de paradigme par rapport à « Charlie-Hebdo ». « Je suis Paris » est resté discret! Nous ne sommes plus dans l’émotionnel, dans le fusionnel mais dans la compassion et la gravité nous  interrogeant sur ce qui fait l’essentiel de notre humanité. Quelle autorité peut aujourd’hui nous rassembler autour d’une communion de bien? Il n’est pas innocent que la presse souligne le message porté par l’association « Coexister » présidée depuis peu par «  une jeune bobo du XIème » Rida Bakkouche.

Non, cette chronique est plus en lien avec l’actualité éditoriale. Plusieurs livres ont été publiés ces temps derniers sur le thème de cette frontière complice, parfois âpre, entre soins et spiritualité. Beaucoup, en France comme ailleurs, travaillent sur cette thématique. Il est intéressant de constater que le spirituel est convoqué pour le soin à une époque où les prouesses techniques de la médecine sont plus en plus nombreuses, audacieuses « and more successfull ». Certains auraient pu imaginer, même espérer que ces réponses médicales viendraient combler leurs attentes, consacrant la toute-puissance de la Raison. Mais le sens n’est pas au rendez-vous !….Plus notre humanité très incarnée est « travaillée », plus nous sommes renvoyés dans « nos vingt-deux » spirituels que nous soyons soignés ou soignants. Notre quête de sens devient ainsi plus pressante comme nous le montrent Laurent Denizeau et Jean-Marie Gueullette dans leur très beau livre «Guérir, une quête contemporaine ».

« Dieu m’a donné rendez-vous à l’hôpital » tel est le titre du livre de Bruno Cazin, prêtre et hématologue. Jean-Guilhem Xerri dans sa préface pose parfaitement les termes de ce témoignage : « Tenter d’accompagner la souffrance dans sa dimension spirituelle, c’est d’abord reconnaître ce besoin irrésolu de sens qui se tient au cœur de l’homme. C’est pour le soignant assumer la nature spirituelle de la personne qu’il accompagne et la sienne propre ». Bruno Cazin dans une large première partie de son ouvrage nous décrit bien l’ordinaire, les progrès éclatants et la symbolique de sa spécialité médicale. « Au terme de cette description, nous pouvons nous interroger avec le psalmiste (Ps 8) : « Qu’est-ce que l’homme pour tu penses à lui, le fils de l’homme, que tu en prennes souci ? » …Et comme en écho Pierre de Bérulle : l’homme est composé de pièces toutes différentes. Il est miracle d’une part et de l’autre néant ». A partir  de là, l’auteur nous invite à écouter « la bise légère » entre soins ordonnés et soins gratuits. Nous devons discerner ces mouvements d’humilité, de miséricorde qui révèlent le sens de cette nouvelle fragilité et par là même toute notre dignité. Soignants et soignés deviennent des compagnons d’Emmaüs. L’hôpital est traversé par des itinéraires spirituels multiples.

Les éditions « Paroles et Silence » publient « La Laïcité à l’hôpital » de Christian Delahaye journaliste au Quotidien du Médecin et théologien spécialisé dans le dialogue inter-religieux. Cet ouvrage décrit parfaitement les différentes étapes de l’histoire des relations entre l’hôpital et la foi, entre médecine et foi. Durant une très longue période soins et foi étaient liés mais distincts comme nous le rappelle ce rideau séparant l’autel de la grande salle d’hospitalisation des Hospices de Beaune. Puis vint une deuxième période celle de la laïcisation. Elle commence en 1789 de façon absolutiste puis libérale mais tout aussi déterminée jusque dans les années 1970. La loi de 1905 rétablira une présence religieuse à l’hôpital en créant les postes d’aumôniers rétribués. Puis enfin le troisième seuil laïc hospitalier marque une demande de supplément moral sous couvert d’aspiration éthique de la part de l’institution hospitalière. Nous voyons nettement à travers ce livre que les interrogations les aspirations de la société traversent l’hôpital. Ce livre nous montre bien que ce dialogue entre médecine et foi se construit chaque jour, dans chaque hôpital avec parfois âpreté. Et Christian Delahaye partage les mêmes réserves que celles de Bruno Cazin redoutant que l’invitation du spirituel dans l’accompagnement des malades ne résume à un syncrétisme réductionniste prêt à instrumentaliser le spirituel dans une thérapie « new-age like ».

Le spirituel n’est pas une technique de soin, une ressource thérapeutique. Non, il est cet espace vital premier que le malade doit réinvestir à frais nouveaux et très intimes. Le soignant est là pour préserver ce mouvement, le considérer comme un but et non un moyen. Notre dignité d’homme fragile est à ce prix. Préservons nous de normaliser, de protocoliser cet espace de pleine liberté.

Cette dérive d’instrumentalisation du spirituel comme technique de soin ne va-t-elle soutenir la volonté de certains de créer des aumôneries syncrétiques, vides de sens, vides d’autorité transcendante ou d’une transcendance humainement construite parfaitement plate et sans verticalité. L’émergence de l’Islam en France vient reposer la question de la laïcité en milieu hospitalier. Mais sommes-nous bien sûr que les attentes des musulmans soient superposables à celles des chrétiens ou des juifs ?

  1. « Dieu m’a donné rendez-vous à l’hôpital », Bruno Cazin, Bayard, Octobre 2015, 198 pages.
  2. « La laïcité à l’hôpital », Christian Delahaye, Parole et Silence, 2014, 168 pages.
  3. « Guérir, une quête contemporaine », Laurent Denizeau et Jean-Marie Gueullette, Les éditions du Cerf, 2015, 294 pages