Conférence des évêques suisses

Orientations pastorales face à la pratique du suicide assisté, adoptés au terme de leur Assemblée plénière (2-4 décembre 2019).

Assister les malades n’est pas une option dans l’agir du chrétien. L’Église est appelée à se rendre présente auprès des personnes souffrantes pour leur être solidaire et les assister. Face à l’angoisse de la maladie, de plus en plus de personnes ont recours en Suisse à l’assistance au suicide et certains croyants dans cette situation font appel à un accompagnateur pastoral. Ce document propose à ces derniers des orientations pour appréhender au mieux l’accompagnement pastoral des personnes envisageant un suicide assisté.

Un défi d’éthique sociale

De nombreuses raisons peuvent amener une personne à développer un désir de suicide (peur de la souffrance, de l’acharnement thérapeutique, solitude, sentiment d’inutilité, d’être un fardeau pour les proches et pour la société, perte de dignité…). Ses craintes sont en partie le reflet d’un manque de connaissance de la pratique médicale actuelle, où il est possible de prévenir tout acharnement thérapeutique en établissant des directives anticipées. Surtout, le développement des soins palliatifs montre qu’un traitement efficace et qu’un soin humain sont le plus souvent aptes à supprimer le désir de suicide. Ce n’est pas au moment où une personne a le plus besoin d’amour et de solidarité qu’il faut s’en détourner en lui proposant le suicide.

En banalisant cette pratique, on laisse croire au patient que c’est par un choix individuel et délibéré qu’il reste en vie, que c’est par sa faute qu’il devient un poids pour ses proches, l’institution de soins et la société. C’est par le développement des soins palliatifs qu’on évitera que l’assistance au suicide se présente comme une « solution » aux yeux de la société et de la personne malade et qu’elle finisse par être considérée faussement comme une forme de soin ou de respect des personnes.

Le suicide assisté – éléments factuels

Le déroulement d’une assistance au suicide peut être décrit comme suit : la personne désirant mettre fin à ses jours contacte l’organisation d’assistance au suicide et lui transmet un dossier médical. Si l’association accepte d’intervenir, des entretiens préparatoires ont lieu, puis, à une date fixée, un ou deux membres de cette association, qui ne sont en général pas médecins, se rendent au domicile de la personne ou dans une institution où celle-ci réside. La personne reçoit d’abord un médicament anti-vomitif pour éviter que le liquide mortel ne soit rejeté, puis au bout d’une demi-heure, elle ingère elle-même la solution létale.

Il importe de souligner que la mort ne survient pas immédiatement au moment de la prise du produit, mais seulement après un intervalle de temps non négligeable, de 7 minutes à 18 heures avec une médiane de 25 minutes, durant lequel la personne reste d’abord consciente. La personne perd ensuite progressivement conscience, sa respiration s’affaiblit et une vita minima se produit avant qu’elle ne décède.

Liberté, autonomie et dignité

L’argument souvent entendu en faveur du suicide assisté consiste à en faire une liberté de choix ou d’autodétermination. Or la liberté ne consiste pas dans la possibilité de faire tout ce qui plaît à l’individu. Cette définition négative atteint rapidement ses limites face à la liberté d’autrui et dans ce cas, cette considération concerne principalement la souffrance des proches. La Cour européenne des droits de l’homme juge ainsi qu’il n’y a aucune raison objective et raisonnable d’invoquer la liberté et l’égalité pour justifier le droit au suicide assisté, qui contrevient au principe de protection de la vie consacré par les lois. Ainsi, de même qu’il ne peut exister de droits sans obligations, de même la liberté ne peut se réaliser sans devoirs :

1. Devoir envers soi-même : le suicide est contraire au désir naturel de tout vivant à se maintenir dans l’existence. Ainsi, l’expression du désir de la mort ne correspond pas nécessairement à une réelle volonté de ourir. Elle exprime avant tout une vulnérabilité de la personne qui souffre.

La perte de dignité est également un motif souvent avancé. Il convient de distinguer la dignité subjective (la personne juge des conditions qui rendent digne son existence) d’une dignité objective (la dignité est une réalité inaliénable de l’être humain). Une personne souffrante ne perd pas sa dignité. Au contraire, la dignité subjective peut être renforcée par son attitude face à la mort.

2. Devoir envers autrui : le suicide n’est pas l’affaire que de la seule personne qui commet cet acte. Il impacte la famille, les proches, les soignants et finalement, toute la société. Ainsi, le risque de suicide augmente de manière conséquente chez les proches par effet de « suicide mimétique ». Les soignants dont le rôle est de conserver la vie sont aussi touchés.
La personne qui se suicide envoie un message négatif aux personnes vulnérables, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et aux jeunes en souffrance, alors que la vie d’un être humain a toujours un sens et une portée pour autrui : un grand malade ne peut-il être un exemple de courage et de patience dans sa dignité face à la souffrance et à la mort ?

3. Devoir envers Dieu : la révélation chrétienne montre que le suicide signe un désespoir qui ne respecte pas le projet d’amour du Créateur. Souffrir de l’affaiblissement des forces, être sujet de maladies et finalement mourir font partie de la condition humaine et renvoient à sa destinée transcendante. Puisque la vie de chaque être humain doit être protégée, il n’appartient à personne (y compris à soi-même) de décider de la valeur d’une vie humaine pour y mettre un terme.

Un accompagnement ecclésial

L’agent pastoral doit prendre au sérieux tout désir de suicide et maintenir l’espérance que ce désir reste réversible. Trop souvent, on considère qu’on ne devrait pas aborder la question du désir de mort. Au contraire, l’accompagnement spirituel est un chemin de maturation sous le regard de tendresse et de miséricorde du Père. Avec toute la délicatesse et le respect requis, l’accompagnant doit s’autoriser à travailler ce désir de mort, en espérant qu’il se transforme en désir de vie. L’expérience montre d’ailleurs que derrière des désirs de suicide se cache souvent un désir non formulé, qu’il s’agit de décrypter et d’approfondir.

Jusqu’où peut aller l’accompagnement personnalisé ?

Certains croyants souhaitent qu’un accompagnateur pastoral soit présent jusqu’au moment de la prise du produit létal. L’accompagnateur doit faire connaître, en paroles et par des actes, la position de l’Église en faveur de l’Évangile de la vie : le suicide est, objectivement, un acte mauvais et aucune intention sincère, ni aucune circonstance ne transmue ce mal en bien, ni ne le justifie. Dans le même temps, aucun chrétien ne peut se dérober à son devoir d’accompagner, avec amour et charité, quiconque se trouve dans une situation de souffrance. L’orientation générale, avec tout le discernement requis, demande ainsi qu’on accompagne « le plus loin possible » les personnes décidées à un suicide médicalement assisté.

De manière claire, l’agent pastoral a le devoir de quitter physiquement la chambre du malade au moment même de l’acte suicidaire.

La raison objective à cela est qu’en refusant, à ce moment précis, d’être présent l’agent pastoral témoigne dans les faits, de l’option de l’Église en faveur de la vie. Quitter la chambre ne signifie pas abandonner la personne. Par la prière notamment, les agents pastoraux sont appelés à témoigner de leur espérance. Ils peuvent aussi entourer la famille ou les proches, qui se trouvent eux-mêmes souvent démunis. D’autre part, la présence d’un agent pastoral serait interprétée, parfois après coup, comme une assistance ou une coopération au suicide. Enfin, il ne faut surtout pas négliger l’impact psychologique lié au fait d’assister de manière impuissante à un suicide. On ne peut exiger de quiconque de supporter la violence d’un tel acte.

Pour ce qui concerne le temps, parfois très long, d’attente de la mort après la prise du produit létal, il relève du jugement de l’accompagnateur pastoral de déterminer la plus juste attitude, pour savoir s’il doit retourner auprès du patient après son acte.

Les sacrements de la vie

De plus en plus souvent, les personnes qui décident de recourir à l’assistance au suicide, demandent à recevoir les sacrements (sacrement de la réconciliation, onction des malades, eucharistie). Chaque prêtre est conscient que les sacrements sont toujours les sacrements de la vie et pour la vie, de sorte qu’ils ne peuvent pas être conférés comme préparation au suicide. Il peut toutefois arriver que le fait d’administrer un sacrement ait sa place dans un tel accompagnement. Pour prendre la décision d’administrer un sacrement, de le reporter ou de le refuser, le ministre doit alors :

1. Connaître la situation spécifique des personnes (le suicide est-il imminent, la décision est-elle définitive,… ?)

2. Vérifier si la personne sait que le suicide assisté constitue un acte moralement mauvais, en contradiction avec l’Évangile et les sacrements de la vie. Dans le cas contraire, l’agent pastoral prendra le temps nécessaire pour s’en expliquer avec délicatesse et clarté et communiquer de façon transparente ce que le ministre peut donner ou non à la personne.

3. Tenter de discerner l’attitude intérieure, sachant que celle-ci peut à tout instant varier. Si les affirmations et l’agir indiquent que la personne revient sur sa décision et s’en repend, les sacrements peuvent être conférés. Si ce qu’elle dit et entreprend va dans la direction décidée du suicide assisté, l’administration des sacrements doit être reportée ou éventuellement refusée. Un refus des sacrements peut alors signifier une invitation de reconsidérer sa propre attitude.

4. Écarter une compréhension fausse des sacrements qui en ferait une pratique « magique ». Le sacrement ne sera reçu de manière fructueuse qu’en fonction des dispositions de celui qui le reçoit, et notamment de sa ferme volonté de ne plus commettre le péché. Si la personne s’éloigne de son choix de se suicider, tout en exprimant le souhait d’être éclairée, alors les sacrements pourront être une aide à la conversion et à la réconciliation.

Si le ministre parvient à la conclusion qu’il ne peut pas conférer les sacrements, il est important que cette décision ne soit pas comprise comme une punition, ni l’application d’une règle rigide, mais du sens profond de l’amour de Dieu pour chacun, et en faveur de la vie. Une telle décision ne signifie aucunement la fin de la relation et de l’accompagnement, mais invite à s’ouvrir à la conduite de l’Esprit Saint et à confier à Dieu la vie et la mort.

Accompagnement des familles, des proches et des soignants

Si la décision de se suicider relève d’un choix individuel, les conséquences sont importantes pour tous ceux qui sont en lien avec la personne concernée : certains proches et soignants approuvent ou partagent la décision, d’autres ont le sentiment qu’elle leur est imposée, et souvent elle heurte leurs convictions intimes. Certaines études s’inquiètent sérieusement des conséquences à long terme pour les proches et d’autres relèvent l’ambivalence ou les tensions existant chez les soignants.

Les agents pastoraux ont un devoir de présence auprès des familles, des proches et du personnel soignant. Mais ils se trouvent souvent eux-mêmes aux prises avec cette ambivalence, surtout si leur accompagnement est perçu comme un échec, lorsque la personne va jusqu’au suicide. Peut-être peuvent-ils s’appuyer sur leur propre désarroi ou leur indéfectible espérance, afin de rejoindre l’humanité des proches aimants ou des soignants désorientés : dans l’empathie, la compréhension mutuelle, avec le secours de la prière commune si elle est possible, un tel accompagnement peut témoigner de la présence indéfectible du Christ souffrant, et laisser transparaître le sens chrétien de la souffrance dans l’espérance de la résurrection.

Conférence des évêques suisses, Attitude pastorale face à la pratique du suicide assisté