Bernard Ars (Belgique), FEAMC Congress, Porto, October 2016

Robotique médicale: quelques critères éthiques / Medical robotics: some ethical criteria / Robótica médica: alguns critérios éticos

Summary / Résumé/ Resumo

Qu’entend on par «robot»? Plus ou moins autonome et mobile selon les contextes dans lesquels il est utilisé, le robot est un système technologique complexe qui présente une capacité à acquérir de l’information à partir de son environnement grâce à des senseurs, une capacité à traiter l’information grâce à des systèmes d’intelligence artificielle et surtout une capacité à rétro-agir sur son environnement. En dehors de la domotique robotisée des institutions de soins, le rôle des robots en médecine est celui d’une aide à la pratique médicale. Celle-ci consiste en la prise en charge du patient en vue de l’établissement d’un diagnostic, pour un traitement adéquat médical, chirurgical ou de réadaptation fonctionnelle et sociale. Selon les catégories fonctionnelles de robots, les problématiques sont différentes.

Quelques    critères    pour     baliser     une     éthique    de     la     robotique    médicale:

Le robot doit rester au service du patient et ne pas devenir un moyen de l’exploiter ou de le contrôler à son insu: respect du secret médical, de la libertédes patients et de l’intimité de leur vie privée. La robotisation du corps mutilé, comme le fait la chirurgie plastique, procède d’un désir parfaitement légitime de rétablissement d’une unité. Par contre, la greffe d’appendices robotisés permettant pour des raisons ludiques ou hédonistes, d’ouvrir de nouvelles sensations, est de nature à briser une unité cohérente de l’humain. L’unité corporelle est le produit d’une histoire biologique, définissant aussi ce qu’est la personne humaine. La robotisation du corps se doit d’en respecter les limites.

Alors que des exosquelettes robotisés sont tout à fait pertinents pour redonner une mobilité à des personnes paralysées, il semble inadéquat d’accéder à la requête de personnes voulant se munir d’exosquelettes aux seules fins de démultiplier, pour le plaisir, leur force musculaire.

La robotisation ne doit pas conduire à une suppression de la relation humaine et doit être respectueuse des sensibilités culturelle. L’utilisateur doit se garder d’une sorte de fascination technologique conduisant à une délégation démesurée de pouvoirs. Le robot doit rester au service du décideur et non l’inverse. Or, par inertie, facilité ou éblouissement, on voit souvent l’utilisateur se laisser conduire par la machine. Le recours systématique à des robots pourrait faire perdre aux médecins et chirurgiens, une expérience forgée au contact direct avec le corps des patients, qui se révèlerait indispensable en cas de panne ou d’indisponibilité des systèmes robotisés.

La robotisation doit s’insérer dans un projet qui respecte la justice et qui n’accentue pas les fractures sociales. Le coût de ces machines, des structures , de leur mise en oeuvre et de leur maintenance pourrait en éloigner les populations moins favorisées de nos sociétés ou des pays en voie de développement.Le sujet humain se doit de ne jamais oublier,d’une part qu’il est le concepteur du robot et le responsable ultime de sa mise en oeuvre et de ses comportements, qu’elles que soient les délégations de pouvoir qu’il ait acceptées;d’autre part, il se doit de réaliser que son utilisation des robots ne peut conduire à sa propre négation ou à son complet effacement, ainsi que de toute la richesse de la relation non médiatisée par la technologie.

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Un monde envahit par les robots.

Aujourd’hui, la robotisation tient une place fondamentale dans nos existences individuelles et collectives, et plus particulièrement en médecine. Cette robotisation, actuelle ou encore à venir, est accueillie ou désirée, non seulement parce qu’elle a déjà démontré son efficacité pratique-rentabilité quotidienne et compétitivité industrielle internationale; mais aussi parce qu’elle permet à certains de rêver à un dépassement des limiteset des fragilités propres à l’humain-fantasme sociétal de puissance.

«Pour les jeunes, les technosciences sont l’avenir. Les vieux n’ont rien compris». Nous constatons une passivité, un émerveillement, voire une fascination, pour les robots.

Définition :

Un robot est un système technologique complexe qui présente les trois éléments essentiels suivants:

. une capacité à acquérir de l’information à partir de son environnement grâce à un ensemble de senseurs,

. une capacité à traiter l’information grâce à des systèmes de raisonnements automatisés; etsurtout

. une capacité à agir et rétro-agir sur son environnement.

Un robot peut être plus ou moins autonome et plus ou moins mobile, selon les cas et les contextes dans lesquels il est utilisé.

Il y a les «robots humanisés » et l’ « homme robotisé ». Ce dernier peut être assisté, réparé ou même augmenté, par la robotisation.

Classification fonctionnelle des robots en médecine.

En dehors de la domotique robotisée des institutions de soins, le rôle des robots en médecine est, jusqu’à aujourd’hui, peut – on dire, celui d’une aide à la pratique médicale.

La pratique médicale consiste en la prise en charge d’un patient, en vue de l’établissement d’un diagnostic, pour un traitement adéquat,qu’il soit médical, chirurgical ou de réadaptation fonctionnelle et sociale.

Dans cette perspective, survolons rapidement un panorama très succinct de l’usage des robots en médecine actuelle.

Nous pouvons distinguer 4 classes principales de robots en médecine. Les robots d’aide au diagnostic sont basés sur l’imagerie par résonance magnétique, le scanner, l’échographie 3Dimensions, l’endoscopie, et permettent d’obtenir rapidement de nouvelles informations sur les pathologies. Les problèmes éthiques sont essentiellement ceux du respect du secret médical, de la liberté des patients et de l’intimité de leur vie privée.

Avec les robots d’aide au traitement médical, nous entrons dans le domaine de la biologie de synthèse et des bio-nano-technologies.

Ainsi sont conçues:

. à but préventif, des nano-laboratoires permettant d’analyser, de façon três ciblée, directement dans le corps humain, le comportement des cellules, ainsi que des biocapteurs permettant de détecter l’irruption de diverses pathologies; et. à but curatif, des bactéries reprogrammées artificiellement pour localiser et détruire des cellules cancéreuses.

Ainsi est également conçue une nouvelle ingénierie « métabolique » afin de faire produire par de nouveaux organismes, des molécules nouvelles.

Le questionnement éthique, ici, est essentiellement celui de la réduction du vivant, à ses fonctions. Les robots d’aide au traitement chirurgical comprennent à la fois les nombreux implants robotisés et les « robots chirurgiens ».

A côté de l’utilisation de plus en plus fréquente, d’implants performants, comme par exemple, le coeur artificiel total «Carmat» ou les implants cochléaires, les «robots chirurgiens», souvent três onéreux, permettent des gestes opératoires plus précis et moins de désagréments postopératoires pour le patient. Ils pourraient même corriger automatiquement certains gestes chirurgicaux inadaptés ou dangereux.

Le questionnement éthique est ici celui de la délégation à la machine, d’un pouvoir important de jugement, impliquant la destinée d’une personne humaine.

Enfin considérons:

Jes robots d’aide à la réadaptation qui sont de deux types: les robots d’aide à la réadaptation fonctionnelle d’une part et sociale d’autre part.

Les premiers aident à corriger le handicap, lorsque la maladie ou des accidents ont altéré les capacités corporelles, en pratiquant l’entrainement physique (remplaçant ainsi le kinésithérapeute) ou en palliant les manques organiques par un exosquelette, comme dans les cas de bras amputésou de tétraplégie ( le système robotisé se substituant à la partie du corps faisant défaut). (Alors, avec quelle frontière entre l’humain et la machine ?).

Les seconds, les robots d’aide à la réadaptation sociale peuvent être utiles pour apporter un soutien psycho-social, aux personnes handicapées ou âgées; ainsi que pour amener les enfants autistes à plus d’interactions social. Il s’agit de «robots de compagnie» qui peuvent agir en vue de surveiller, de distraire ou d’aider certaines personnes lorsque les aides humaines font défaut ou sont rejetées pour des raisons pathologiques.

Ce sont des «emotional robots», c.à d. qui ont de l’empathie, qui ont la capacité de percevoir les émotions et les états mentaux d’un être humain et de les mémoriser.

Il convient cependant d’être circonspect face à une réelle empathie qui peut se développer envers ces robots « androïdes ». Les personnes fragilisées s’attachent à leur robot, de la même façon qu’à leur animal de compagnie.

Il y a un réel danger à ce que les robots d’assistance infantilisent leurs utilisateurs, en les traitantmcomme des récipiendaires passifs de soins et de services.

Méfions nous aussi de robots conçus comme des ersatz d’êtres humains, auprès desquels nous serions tentés de trouver le partenaire idéal que la vie nous refuse. Gardons nous de robots entièrement préprogrammés, car nous risquerions de ne plus concevoir pour eux, d’autres choix que ceux qu’ils présentent à l’achat, voire même plus d’autre choix possible pour nous que les leurs dans une situation équivalente. Enfin, méfions nous de robots qui deviendraient des conseillers personnels de chacun, avec un risque important de manipulation.

 

Critères pour baliser une éthique de la robotique médicale.

La robotisation est un fait. Il est légitime de faire usage des robots en médecine, pour effectuer des tâches que l’humain ne pourrait jamais réaliser aussi bien et aussi vite. Cependant un discernement éthique est indispensable.

Dans nos principes de référence, il y a, ces derniers temps, un recul enorme d’intelligence:

. Il y a 30 ans, c’était le principe de responsabilité-principe philosophique-qui oblige à s’interroger sur le sens de nos interventions.

. Puis nous sommes passés au principe de précaution-principe juridique-lequel oblige à avoir recours aux bonnes pratiques.

. Nous sommes passés du «Pourquoi?» au «Comment?» y parvenir sans faire de dégâts?

. Et maintenant, nous sommes dans le principe d’innovation-principe économique. Comment ne pas être en retard? Comment être toujours en croissance?

C’est pourquoi nous voudrions proposer maintenant quelques repères susceptibles de fonder concrètement et de baliser une évaluation éthique des usages de la robotique en médecine.

  1. Le robot doit rester au service du patient et ne pas devenir un moyen de l’exploiter ou de le contrôler à son insu: dès lors: respect du secret médical, de la liberté des patients, de l’intimité de leur vie privée.

En effet, les robots établissant des diagnostics à distance, les «nanorobots» à buts préventifs et curatifs – et/ou – les robots «aides infirmiers» administrant des médicament, sont des machines qui ont la possibilité d’enregistrer toute une série de données personnelles, y compris émotionnelles.

Particulièrement dans le contexte de la recherche automatisée dans des immenses bases de données personnelles – «data mining» – il est à craindre l’utilisation de données, financières par exemple, recueillies au cours des échanges entre les robots et les personnes âgées, malades et vulnérables, à des fins commerciales ou malveillantes.

  1. La robotisation du corps se doit d’en respecter l’unité.

La robotisation du corps humain en médecine prend aujourd’hui les formes variées des prothèses. Remplacer progressivement les organes défectueux par des systèmes mécatroniques et palier les déficiences cérébrales, motrices et sensorielles, par ces systèmes; est tout à fait légitime et important.

Mais actuellement, certains idéologues envisagent d’utiliser la robotique pour conférer au corps humain, de nouvelles capacités, inédites, créatives, avec comme seul objectif, certains phantasmes esthétiques ou de puissance.

D’où l’importance de développer une réflexion qui permettrait d’évaluer l’utilisation des robots, dans ce contexte!

La notion d’unité cohérente du corps humain pourrait en constituer un critère. Restaurer l’unité d’un corps mutilé, essayer de donner à nouveau la mécanique initiale à l’organe détruit, pour qu’il participe à la fonction globale du corps; comme le réalise, entre autres, la chirurgie plastique ou comme essaie de l’évaluer l’expertise médico-légale, en vue d’une juste indemnisation des dommages, par le tribunal du travail; procède d’un désir de préservation et de rétablissement d’une unité corporelle cohérente.

Par contre, la greffe d’appendices robotisés et de capteurs permettant pour des raisons ludiques ou hédonistes, d’ouvrir de nouvelles sensations, est de nature à briser une unité cohérente du corps humain.

Qu’est ce que cette unité cohérente du corps humain? – Difficile à définir!

A côté de cette notion de «fonction», évoquée antérieurement, il y a celle d’ «animation». Qu’est ce ?

Le corps humain est certes matière. Mais ce ne sont pas les caractéristiques de la matière qui président à la détermination de son identité. Et pourtant l’homme est une quantité de matière déterminée, organisée d’une façon spécifique. Mais il y a plus. Cette matière qui constitue l’homme est vivante, douée de mouvements spontanés.

La disparition de ces mouvements spontanés, en d’autres mots l’arrêt de la vie- la mort- coincide avec la désorganisation de cet ensemble matériel qu’est l’homme; le cadavre n’est plus une matière humaine.