Le balancier parti dans un sens hier avec Vincent Lambert revient aujourd’hui dans l’autre sens avec le jugement rendu au sujet du Docteur Bonnemaison. Ce mouvement de va et vient ne met-il pas en lien ces deux affaires dans un espèce de raccourci ? Nous passons de l’acharnement à l’insuffisance juridique.

Le Docteur Bonnemaison est acquitté pour sept décès dans son service. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cet autre homme dans la plus grande solitude, au bout de son épuisement, de son désespoir qui en vient à étouffer avec un simple oreiller sa femme arrivée aux extrémités de sa maladie d’Alzheimer. Il a eu la chance d’être condamné avec sursis. La justice a entendu la gravité de son geste, a pris en compte sa responsabilité, sa fragilité d’homme, de mari. La communauté à travers cette décision de justice  reconnaît le drame vécu par cet homme. La jurisprudence n’a pas joué. La justice n’est pas rendue de la même manière sur l’ensemble de notre pays.

Dans un mouvement d’émotion submergeant le jury, le Docteur Bonnemaison est acquitté. Il peut être soulagé dans un premier temps. Mais, son geste n’est pas grave. Circulez il n’ y a rien à voir ! Il ne s’est rien passé. Le Docteur Bonnemaison n’est certes pas un assassin comme le rappelait le Docteur Léonetti. Mais enfin, il est allé à l’encontre de la loi. La cour dans son jugement a gommé la gravité de cette transgression. L’esprit de la loi a été ignoré. Que peuvent penser aujourd’hui les soignants de son service ? A travers ce jugement, l’institution hospitalière est la seule pleinement acquittée. Les urgences peuvent continuer d’être ce purgatoire pour ces patients difficiles que sont les personnes âgées et les SDF. Y aurait-il une immunité médicale ? Dans ces conditions à quoi sert la loi Léonetti ?

La justice dit-elle la loi ou l‘émotion ? Quelles sont les valeurs fortes qui ont porté les réflexions du jury ? Notre principe d’humanité doit-il être ballotté par les circonstances, le flux et le reflux de nos émotions ?

Pour anticiper la pente dangereuse sur laquelle nous risquons de trébucher, allons un peu plus loin. L’acquittement renvoie à la non responsabilité donc à la contrainte, à la non liberté. Est-ce vers cela que l’on veut nous conduire par touches successives ? Cette collégialité libérée que nous offre la loi aujourd’hui n’aura plus lieu d’être. Notre humanité dans toute sa fragilité, sa gravité s’en trouvera réduite à sa plus simple expression biologique, matérielle. Je vous renvoie une fois encore « Au propre de l’homme » de Rémy Brague.

Avec ce jugement nous sommes tous perdants. Les sept personnes décédées dans la solitude. Les familles qui ont souffert de la privation de ces derniers instants, ces derniers adieux si denses qui viennent conclure une vie. Le Docteur Bonnemaison à qui l’on signifie la non gravité de son geste. Les soignants blessés dans leurs aspirations humaines et professionnelles. La justice qui n’a pas dit la loi. La loi Léonetti qui se trouve niée. Les médecins dans leur ensemble, au-delà de leurs divergences, dont le poids humain de leur responsabilité ne se trouve pas pris en considération. Et enfin toute notre communauté nationale qui est confrontée un jour ou l’autre à cette vie qui s’éteint. Cet acquittement est plus qu’une double peine !

Dr.  Bertrand Galichon, Président du CCMF (Centre Catholique des Médecins Français)

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