Bertrand Galichon (France)

Président du CCMF, association membre de la FIAMC

 

Le soin entre l’autorité et le bien commun / The care between authority and common good / Os cuidados de saúde entre a autoridade e o bem comum

 

Summary/ Résumé/ Resumo

 

Comme tout Européen, nous sommes aujourd’hui dans un contexte dominé par une volonté de lucidité critiquant l’ordre établi et par le phantasme de maîtrise absolue. Ainsi, notre dimension spirituelle est mise au second plan et l’immanence de notre technicité nous dirige. En tant que médecins européens et chrétiens nous sommes directement interrogés par cette évolution. Comment à travers le soin, pouvons-­‐nous expliciter ce dialogue entre autorité et bien commun ou particulier ? Comment l’immanence du bien commun illustré par le soin et la transcendance de l’Autorité s’ajustent l’une l’autre ? Notre Espérance advient dans ce dialogue. Et le soin n’en est que l’expression la plus visible, la plus triviale.

 

« La vérité de celui qui accompagne est plus d’indiquer des chemins d’avenir que de juger les enfermements passés. » (Pape François, Seul l’amour nous sauvera)

 

Text / Texte / Texto

 

Il nous faut garder à l’esprit le sommet de la pyramide de Maslow : nous sommes tous des êtres spirituels. L’objet du soin est de rétablir notre humanité, nous libérer des chaines de la maladie pour vivre de notre spiritualité. Mais cette dernière participe aussi à l’acte de soin. Notre spiritualité est donc le moyen et la fin du soin. Ainsi, Monsieur Petit est un clochard sous les ponts de Paris. Depuis des mois, chaque nuit, il reçoit la visite de volontaires d’une association. Chaque visite se solde par un échec, un silence. Monsieur Petit ne veut pas bouger, ne veut pas se lever. Monsieur Petit ne répond pas. Un soir, Monsieur Petit attend debout les bénévoles de l’association. « Mais Monsieur Petit pourquoi êtes-vous de bout ? Une question m’habitait : pourquoi viennent-ils tous les soirs me rendre visite ? Une seule raison : j’ai à vos yeux de l’importance, une valeur spirituelle. Je vous attends donc debout, à votre hauteur. » La spiritualité d’un homme ne trouve sa nourriture, son expression que dans l’altérité, son jeu nourricier ou émondant. Le partage d’un bien commun soigne. Ce non partage, cette non mise en commun isole et rend malade. Le mal comme le Malin isolent, nous font douter, refuser l’autorité du bien commun. Ainsi le malade est celui qui est exclu de ce jeu commun de la vie. Le médecin par le soin doit trouver avec son patient ce chemin du bien commun et son autorité. Le malade devenu patient vient participer au jeu créatif du dialogue entre autorité et bien commun. Le malade et son médecin sont cette cordée qui va gravir les différents degrés de cette pyramide de Maslow pour en gagner le sommet, l’essentiel. La maladie impose au malade une nouvelle voie, un nouveau sommet. Quel nouveau chemin, le malade doit se frayer pour retrouver le bien commun et la communauté de bien ? Un laboratoire pharmaceutique français n’avait-il pas construit toute sa communication sur le thème : à chacun son Everest ? Ainsi, la question essentielle posée par la maladie n’est pas son pourquoi mais le « pour quoi ». La maladie trouve son sens quand elle permet d’entrevoir un nouveau pour quoi ». Pour chaque patient, le soin redessine un nouveau lien avec autorité et bien commun.

Le soin.

Le soin, quelle définition ? Cure et care en Anglais, pour un seul mot en Français, le soin. En anglais et dans bien d’autres langues européennes un seul mot pour savoir et connaître, en français nous distinguons savoir et connaître, savoir et connaissance ou autrement dit savoir et fréquenter, savoir et altérité. To Know permet le « cure » et le care ». Le « cure » n’est que le début, une part du soin. Il trouve son autorité dans l’immanence d’un savoir technique. L’ « evidence base medecine » ne dit que le « cure ». Elle n’est qu’un soin amputé de la connaissance, la relation à l’autre. Le « care » est cette autre part indissociable du soin qui trouve son appui dans la connaissance que le soignant et le soigné peuvent avoir l’un de l’autre, dans la reconnaissance du partage d’un bien commun. Savoir et connaitre permettent la cohérence du soin. Savoir universel et connaissance particulière limitée se lient pour soigner. Le «care-connaissance (altérité » vient accomplir le «cure-savoir technique» pour donner tout son sens et sa force au soin. Ainsi, la connaissance vient achever l’action du savoir. Ma connaissance, ma fréquentation de l’autre vient donner tout son sens au soin, permettre notre participation à un bien particulier, figue d’un bien commun.

 

Le soin est une médiation à la recherche du partage d’un bien commun entre un savant et non savant, entre un sachant et non-sachant. Soigner : la rencontre entre un savoir médical éprouvé porté par le médecin et une connaissance incarnée vécue à chaque instant de sa maladie par le malade. L’autorité du médecin propose la vérité universelle de son savoir pour un bien particulier destiné au malade. Le soin participe au bien commun par la mise en œuvre de ce savoir partagé.

Le malade doit s’ouvrir à l’universalité de l’autorité de l’ordonnance, touchant ainsi du doigt son appartenance à une même communauté. Parallèlement, le médecin doit ajuster cette universalité à cette connaissance particulière que le malade a de sa maladie, au chemin parcouru. Le soin est un « jeu d’acteurs » pour une communication, une mise en lien de deux êtres en quête d’un bien commun. Dans ce mouvement d’altérité: le soin devient un bien communiquant. Il est communication, il est fréquentation, il est connaissance. Cette guérison vise à libérer le malade de ses liens. Elle vise à reconstruire l’intimité de l’être, sanctuaire de sa spiritualité et de sa liberté. A cette condition, le malade devient ce patient participant au bien commun.

 

Le malade subit sa maladie, le patient l’inscrit dans sa biographie pour appartenir à la communauté des hommes. La maladie lui fait trouver une autre relation à autrui pour participer à ce bien commun. Guérir n’est pas retrouvé un état de santé antérieur, c’est trouvé une autre possibilité de partager le bien commun. Ainsi ce n’est pas tant l’autorité du médecin et de son savoir qui nous intéressent ici mais plus volontiers l’autorité du bien commun.

Autorité et Bien Commun

Le Bon samaritain n’est-il pas cette autorité qui va inviter l’hôtelier à soigner cet inconnu blessé? N’est-il pas cette autorité qui va s’effacer après avoir donné à cet hôtelier les moyens pour que ce bien commun qui est le soin puisse être partagé? Ne reviendra-t-il pas plus tard pour bénir cet «hôtelier-soignant»? Comme médecin, nous cherchons à être des Bons Samaritains. Ne nous trompons pas ! Il nous est simplement demandé d’être humblement comme cet hôtelier. Nous devons accueillir et soigner cet inconnu. Nous ne sommes pas de Bons Samaritains! Comme médecins par notre savoir, nous ne sommes pas la source de l’autorité du soin mais seulement ses ouvriers.

 

Ce Bien Commun incarné.

Ce bien commun ne commence-t-il pas d’abord par notre humanité? Notre humanité commune nous invite à être responsables les uns des autres. Le respect de notre dignité d’homme ne trouve-t-elle pas son autorité dans le partage du même amour du Père ? Le soin de l’autre porté par l’Amour du Père est là pour rendre hommage à notre humanité. Ainsi l’autorité justifie ce bien commun. L’homme que je soigne est aussi aimable que moi aux yeux du Père, voilà notre Bien Commun. Et nous vivons de ce même don du Père. Toute volonté de domination va à l’encontre de ce bien commun. Toute autorité voulant dépasser ou effacer ce bien commun devient illégitime. Ainsi le soin qui libère le patient de ses liens de la maladie participe de ce dialogue entre autorité et bien commun.

Sans le bien commun, l’autorité n’est justifiée que par la Loi et sans gratuité. Toute volonté de domination va à l’encontre du bien commun, dans un rapport de force. L’autorité ne peut agir qu’en faisant partager entre les hommes ce bien commun. Nous partageons une identité de nature et une égalité de droit. Le bien commun ne peut être justifié que par son autorité. Et pour cela, l’autorité ne peut être acceptée, vécue que comme bien commun ou un bien de la communauté. Ainsi se dessine une communauté du bien. L’homme que je soigne est tout aussi aimable que moi, nous vivons de cette même autorité. Ainsi, le soin ne peut que participer de ce dialogue entre autorité et bien commun dans une totale gratuité. Le bien commun trouve sa source dans l’autorité et cette dernière se trouve légitimée par la mise en œuvre de celui-ci.

Le soin constitue un parfait exemple de ce dialogue permanent entre autorité et bien commun. Ainsi, l’autorité du médecin construit ce bien particulier du malade. En retour ce bien particulier vient justifier cette autorité. La guérison signifie l’effacement du savoir, de l’autorité du médecin. Le malade retrouve le chemin de sa propre liberté, de sa propre humanité, pour un nouveau partage de ce bien commun. Ainsi, prendre soin de l’autre participe de notre bien commun et de son autorité. Comme médecins, notre autorité est justifiée par notre savoir. Pour nous médecins et chrétiens cette autorité trouve sa source dans nos statuts de fils et frères. Le bien particulier du malade comme le bien commun trouvent leur pleine expression dans l’effacement de l’autorité. Le Père se retire pour que nous puissions vivre gratuitement de son Amour. Autorité et bien commun deviennent indissociables.

L’orgueil est de sauver ou se sauver grâce à ses seules propres forces. L’orgueil veut nous faire courir après le phantasme de maîtrise absolue du bien commun. C’est rejeté toute autre autorité que la sienne. Son contraire l’Humilité, voilà le don que médecin et malade doivent partager pour reconnaitre la fécondité ce dialogue entre autorité et bien commun. L’humilité nous permet de discerner la verticalité, la source de cette relation pour soigner en vérité. Cette humilité nous fait considérer l’autre comme aussi aimable que nous aux yeux du Père. Le soin porté uniquement par le partage de considérations scientifiques, techniques se limite à un échange intellectuel entre malade et médecin sans atteindre la profondeur de leurs êtres, sans participer au bien commun.

Mettre notre savoir au service du bien commun voilà la mission qui nous est confiée à nous médecins en particulier européens à cause de notre histoire sociale, médicale mais aussi à cause des remises en question anthropologiques et éthiques dont nous sommes les auteurs. Comme chrétiens, comme tout chrétien nous devons interroger la société pour quelle nomme l’autorité qui l’autorise à mettre en œuvre tel ou tel soin. Nous ne devons pas nous contenter de quelques prétextes mais rechercher les raisons profondes ou «avant premières», appelées ainsi par le théologien protestant Dietrich Bonhoeffer. L’ajustement éthique du soin n’est -il pas guidé par ce dialogue continu, nourricier entre autorité et bien commun. Le sens commun, le bon sens commun n’est-il pas un indicateur, un cairn de cette réflexion? Se mettre au service du bien particulier du malade comme celui du bien commun, c’est accepter de poser un jour un acte de transgression éthique.

 

Conclusion: La Communauté du Bien.

 

  • Vas ta foi t’as sauvé ! ». « Vas ta vie nourrie de l‘autorité t’a sauvé !» Le Christ soignant remet celui qu’il a sauvé en liberté, le renvoie à sa propre responsabilité du bien commun. La guérison est cette remise sur un chemin de liberté objet ultime du soin. L’autorité de ce bien commun qui est le soin libère le patient pour une nouvelle appartenance à la communauté du bien. « Le bien commun n’est-il pas toujours une vraie valeur devenue lien concret entre les êtres? Et l’Amour est-il autre chose que la Valeur des valeurs ? » (Gaston Fessard, autorité et bien commun, 1943)

Le bien commun n’est-il pas ce lien très fort, ce ciment qui nous fait tenir ensemble. Ainsi, nous formons une communauté de bien. Comme le rappelle Gaston Fessard, ce lien concret n’est-il pas une vraie valeur? Et en tant que chrétien nous ne devons pas reculer devant une transgression de la Loi pour faire advenir ce bien commun, son autorité et la communauté du bien.

 

Le dialogue entre autorité et bien commun se joue dans cette complémentarité entre Cure et Care comme entre savoir et connaissance. Notre Espérance advient dans ce dialogue. Et le soin n’en est que l’expression la plus visible, la plus triviale. Notre attention portée à la plénitude du soin est le lieu de la justification réciproque de l’autorité et du bien commun. Notre appartenance à cette communauté du bien comme malade est rendue possible à grâce à la gratuité d’une totale liberté recouvrée par le soin.

  • La vérité de celui qui accompagne est plus d’indiquer des chemins d’avenir que de juger les enfermements passés. » (Pape François, Seul l’amour nous sauvera) Références :

 

  • Autorité et Bien Commun, aux fondements de la société, P. Gaston Fessard, sj, Editions Ad Solem. Paris 2015, 238 pages.
  • Chrétien et modernité, Philippe d’Iribarne, Editions Gallimard, Paris 2016, 238 pages.
  • Seul l’amour nous sauvera, Pape François, Parole et Silence, Paris 2013, 192 pages.